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DE L'ESPRIT DES LOIS.


laisser une peine [1] qui faisoit porter une flétrissure pendant la vie. On a prétendu augmenter la peine, et on l’a réellement diminuée.

Il ne faut point mener les hommes par les voies extrêmes ; on doit être ménager des moyens que la nature nous donne pour les conduire. Qu’on examine la cause de tous les relâchements, on verra qu’elle vient de l’impunité des crimes, et non pas de la modération des peines.

Suivons la nature, qui a donné aux hommes la honte comme leur fléau, et que la plus grande partie de la peine soit l'infamie de la souffrir.

Que, s’il se trouve des pays où la honte ne soit pas une suite du supplice, cela vient de la tyrannie, qui a infligé les mêmes peines aux scélérats et aux gens de bien.

Et si vous en voyez d’autres où les hommes ne sont retenus que par des supplices cruels, comptez encore que cela vient en grande partie de la violence du gouvernement, qui a employé ces supplices pour des fautes légères.

Souvent un législateur qui veut corriger un mal ne songe qu’à cette correction ; ses yeux sont ouverts sur cet objet, et fermés sur les inconvénients. Lorsque le mal est une fois corrigé, on ne voit plus que la dureté du législateur ; mais il reste un vice dans l’État, que cette dureté a produit ; les esprits sont corrompus, ils se sont accoutumés au despotisme.

Lysandre [2] ayant remporté la victoire sur les Athéniens, on jugea les prisonniers ; on accusa les Athéniens d’avoir précipité tous les captifs de deux galères, et résolu, en pleine assemblée, de couper le poing aux prisonniers

  1. On fendoit le nez, on coupoit les oreilles. (M.) V. les Mémoires de l'intendant Foucault, publiées par M. Baudry.
  2. Xénophon, Histoire, liv II, ch. II. § 20-22. (M.)