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DE L'ESPRIT DES LOIS.


s'avancer par les richesses inspire et entretient l'industrie [1] ; chose dont cette espèce de gouvernement a grand besoin [2].

CINQUIÈME QUESTION. Dans quel gouvernement faut-il des censeurs ? II en faut dans une république, où le principe du gouvernement est la vertu. Ce ne sont pas seulement les crimes qui détruisent la vertu, mais encore les négligences, les fautes, une certaine tiédeur dans l’amour de la patrie, des exemples dangereux, des semences de corruption ; ce qui ne choque point les lois, mais les élude ; ce qui ne les détruit pas, mais les affoiblit : tout cela doit être corrigé par les censeurs.

On est étonné de la punition de cet Aréopagite, qui avoit tué un moineau qui, poursuivi par un épervier, s’étoit réfugié dans son sein. On est surpris que l’Aréopage ait fait mourir un enfant qui avoit crevé les yeux à son oiseau [3]. Qu’on fasse attention qu’il ne s’agit point là d’une condamnation pour crime, mais d’un jugement de mœurs dans une république fondée sur les mœurs.

Dans les monarchies, il ne faut point de censeurs ; elles sont fondées sur l’honneur ; et la nature de l’honneur est d’avoir pour censeur tout l’univers [4]. Tout homme qui y manque est soumis aux reproches de ceux même qui n’en ont point.

Là, les censeurs seroient gâtés par ceux même qu’ils devroient corriger. Ils ne seroient pas bons contre la corruption d’une monarchie ; mais la corruption d’une monarchie seroit trop forte contre eux.

  1. Ceci est pris du Testament politique de Richelieu.
  2. Paresse de l'Espagne ; on y donne tous les emplois. (M.)
  3. Cela est fou et injuste. (HELVÉTIUS.)
  4. Sup., V, IV.