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XI
A L’ESPRIT DES LOIS.


répandirent comme des torrents dans les provinces romaines, et trouvant autant de facilités à faire des conquêtes qu'à exercer leurs pirateries, elles démembrèrent l'Empire et fondèrent des royaumes. Ces peuples étaient libres, et ils bornoient si fort l'autorité de leurs rois, qu'ils n'étoient proprement que des chefs ou des généraux... Quelques-uns même de ces peuples, comme les Vandales en Afrique, les Goths en Espagne, déposoient leurs rois dès qu’ils n’en étoient pas satisfaits, et chez les autres l'autorité du prince étoit bornée de mille manières différentes ; un grand nombre de seigneurs la partageoient avec lui ; les guerres n'étoient entreprises que de leur consentement ; les dépouilles étoient partagées entre le chef et les soldats ; aucun impôt en faveur du prince ; les lois étoient faites dans les assemblées de la nation. Voilà le principe fondamental de tous ces États qui se formèrent des débris de l'empire romain. »


Il y aurait plus d’une réserve à faire sur certains passages de cette lettre ; il faut être Persan pour parler de la douceur romaine, pour croire que la Grèce a peuplé l’Italie, et que l’Italie à son tour a peuplé l’Espagne et peut-être les Gaules ; mais le fonds des idées est vrai. C’est chez les Grecs et les Romains qu’il faut chercher la République, telle que l’entend Montesquieu ; le despotisme a toujours régné en Orient, et c’est seulement en Europe et après l’invasion germanique qu’on a vu naître des monarchies tempérées. Voici les trois espèces de gouvernement, suivant l'Esprit des lois. La classification de Montesquieu n’est pas philosophique comme celle d’Aristote ; elle est historique. L’antiquité classique, l’Orient, l’Europe moderne, et surtout la France, voilà les trois grandes masses que l’auteur a pris pour sujet de ses études ; voilà ce qu’il ne faut jamais oublier quand on lit l’Esprit des lois. Les observations sont particulières, et par conséquent les réflexions ne sont justes que dans la limite des faits observés. Rien de plus aisé que de prendre Montesquieu en défaut, si l’on veut en faire un théoricien, dictant des lois à l’humanité. Mais on admirera toujours sa profondeur et sa finesse, si on veut entrer dans l’esprit de son livre, et si on traduit la République par Athènes ou Rome, le Despotisme par la Turquie, et la Monarchie par la France.

Les Principes, qui distinguent chacun de ces gouvernements,