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LIVRE V, CHAP. XIX.

SECONDE QUESTION. Est-ce une bonne maxime qu’un citoyen puisse être obligé d’accepter, dans l’armée, une place inférieure à celle qu’il a occupée ? On voyoit souvent, chez les Romains, le capitaine servir, l’année d’après, sous son lieutenant [1]. C’est que, dans les républiques, la vertu demande qu’on fasse à l’État un sacrifice continuel de soi-même et de ses répugnances. Mais, dans les monarchies, l’honneur, vrai ou faux, ne peut souffrir ce qu’il appelle se dégrader [2].

Dans les gouvernements despotiques, où l’on abuse également de l’honneur, des postes et des rangs, on fait indifféremment d’un prince un goujat, et d’un goujat un prince.

TROISIÈME QUESTION. Mettra-t-on sur une même tête les emplois civils et militaires ? Il faut les unir dans la république, et les séparer dans la monarchie. Dans les républiques, il seroit bien dangereux de faire de la profession des armes un état particulier, distingué de celui qui a les fonctions civiles ; et, dans les monarchies, il n’y auroit pas moins de péril à donner les deux fonctions à la même personne.

On ne prend les armes, dans la république, qu’en qualité de défenseur des lois et de la patrie ; c’est parce que l’on est citoyen qu’on se fait, pour un temps, soldat. S’il y avoit deux états distingués, on feroit sentir à celui qui, sous les armes, se croit citoyen, qu’il n’est que soldat.

Dans les monarchies, les gens de guerre n’ont pour objet que la gloire, ou du moins l’honneur ou la fortune.

  1. Quelques centurions ayant appelé au peuple pour demander l'emploi qu'ils avoient eu : Il est juste, mes compagnons, dit un centurion, que vous regardiez comme honorables tous les postes où vous défendrez la république. Tite-Live, liv. XLII, cap. XXXIX. (M.)
  2. Sup., IV, II.