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CHAPITRE IV.


COMMENT ON INSPIRE L’AMOUR DE L’ÉGALITÉ
ET DE LA FRUGALITÉ.


L’amour de l'égalité et celui de la frugalité sont extrêmement excités par l’égalité et la frugalité même, quand on vit dans une société où les lois ont établi l’une et l’autre.

Dans les monarchies et les États despotiques, personne n’aspire à l'égalité ; cela ne vient pas même dans l’idée ; chacun y tend à la supériorité. Les gens des conditions les plus basses ne désirent d’en sortir que pour être les maîtres des autres.

Il en est de même de la frugalité. Pour l’aimer, il faut en jouir. Ce ne seront point ceux qui sont corrompus par les délices qui aimeront la vie frugale ; et, si cela avoit été naturel ou ordinaire, Alcibiade n’auroit pas fait l’admiration de l’univers [1].

Ce ne seront pas non plus ceux qui

  1. Je ne prétends point faire des critiques grammaticales à un homme de génie, mais j’aurais souhaité qu’un écrivain si spirituel et si mâle se fût servi d’une autre expression que celle de jouir de la frugalité. J’aurais désiré bien davantage qu’il n’eût point dit qu’Alcibiade fut admiré de l'univers pour s’être conformé dans Lacédémone à la sobriété des Spartiates. Il ne faut pas, à mon avis, prodiguer ainsi les applaudissements de l’univers. (VOLTAIRE.)

    Jouir de la frugalité est une phrase hardie, mais qu’on peut défendre, car elle exprime une idée Juste ; quant à l’univers, la critique est mieux fondée, mais il faut faire la part du tempérament de Montesquieu et de son amour pour l'antiquité classique. Il comprend, il admire les Grecs et les Romains avec un tout autre génie que Voltaire, beaucoup plus ami des modernes que des anciens.