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LIVRE IV, CHAP. VIII.


ainsi qu’ils donnoient des lois ; c’est ainsi qu’ils vouloient qu’on gouvernât les cités.

Je crois que je pourrois expliquer ceci. Il faut se mettre dans l’esprit que, dans les villes grecques, surtout celles qui avoient pour principal objet la guerre, tous les travaux et toutes les professions qui pouvoient conduire à gagner de l’argent, étoient regardés comme indignes d’un homme libre. « La plupart des arts, dit Xénophon [1], corrompent le corps de ceux qui les exercent ; ils obligent de s’asseoir à l’ombre, ou près du feu : on n’a de temps ni pour ses amis, ni pour la république. » Ce ne fut que dans la corruption de quelques démocraties, que les artisans parvinrent à être citoyens. C’est ce qu’Aristote [2] nous apprend ; et il soutient qu’une bonne république ne leur donnera jamais le droit de cité [3].

L’agriculture étoit encore une profession servile [4], et ordinairement c’étoit quelque peuple vaincu qui l’exerçoit : les Ilotes, chez les Lacédémoniens ; les Périéciens, chez les Crétois ; les Pénestes, chez les Thessaliens ; d’autres [5] peuples esclaves, dans d’autres républiques.

  1. Liv. V, Dits mémorables, [Économiques, ch. IV.] (M.)
  2. Politique, liv. III, ch. IV. (M.)
  3. Diophante, dit Aristote, Politique, liv. II, ch. VII, établit autrefois à Athènes que les artisans seroient esclaves du public. (M.)
  4. Les anciens, ainsi que les modernes, attachèrent une idée de noblesse à l'oisiveté, et c’est la source de tous les maux dans la politique et dans la morale. (HELVÉTIUS.) Le citoyen chez les Grecs et les Romains, le noble chez nos pères, ne devait s’occuper que de la guerre ; tout le reste était métier d'esclave ou de vilain.
  5. Aussi Platon et Aristote veulent-ils que les esclaves cultivent les terres, Lois liv. VII ; Politique, liv. VII, ch. x. Il est vrai que l’agriculture n’étoit pas partout exercée par des esclaves, au contraire, comme dit Aristote (Polit., liv. VI, ch. IV), les meilleures républiques étoient celles où les citoyens s’y attachoient ; mais cela n’arriva que par la corruption des anciens gouvernements devenus démocratiques, car, dans les premiers temps, les villes de Grèce vivoient dans l'aristocratie. (M.)