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CHAPITRE VIII.



EXPLICATION D'UN PARADOXE DES ANCIENS
PAR RAPPORT AUX MŒURS.


Polybe, le judicieux Polybe, nous dit [1] que la musique étoit nécessaire pour adoucir les mœurs des Arcades, qui habitoient un pays où l'air est triste et froid ; que ceux de Cynète, qui négligèrent la musique, surpassèrent en cruauté tous les Grecs, et qu’il n’y a point de ville où Ton ait vu tant de crimes. Platon [2] ne craint point de dire que l’on ne peut faire de changement dans la musique, qui n’en soit un dans la constitution de l'État. Aristote, qui semble n’avoir fait sa Politique que pour opposer ses sentiments à ceux de Platon, est pourtant d’accord avec lui touchant la puissance de la musique sur les mœurs [3], Théophraste, Plutarque [4], Strabon [5], tous les anciens ont pensé de même. Ce n’est point une opinion jetée sans réflexion ; c’est un des principes de leur politique [6]. C’est

  1. Hist,, liv. IV, ch. XX et XXI.
  2. De la République, liv. IV. Sous le nom de musique, les anciens comprennent la poésie, l'histoire, l'éloquence et la musique proprement dite. V. Platon, République, liv. III.
  3. Politique, liv. VIII, ch. V. On peut trouver bien rigoureux le jugement de Montesquieu sur la Politique d'Aristote. Platon est un théoricien, je ne voudrais pas dire un rêveur ; Aristote est un observateur, et le premier des observateurs. Il est naturel que sa froide raison fasse bon marché des chimères de Platon. C’est la querelle de la science et de l’imagination.
  4. Vie de Pélopidas, (M.) Et Vie de Lycurgue.
  5. Liv. I. (M.) Strabon n’est cite ni dans A ni dans B.
  6. Platon, liv. IV des Lois, dit que les préfectures de la musique et de la gymnastique sont les plus importants emplois de la cité ; et, dans sa République, liv. III, « Damon vous dira, dit-il, quels sont les sons capables de faire naître la bassesse de l’âme, l'insolence, et les vertus contraires. » (M.)