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CHAPITRE V.


QUE LA VERTU N'EST POINT LE PRINCIPE
DU GOUVERNEMENT MONARCHIQUE.


Dans les monarchies, la politique fait faire les grandes choses avec le moins de vertu qu’elle peut [1] ; comme, dans les plus belles machines, l’art emploie aussi peu de mouvements, de forces et de roues qu’il est possible.

L’État subsiste indépendamment de l’amour pour la patrie, du désir de la vraie gloire, du renoncement à soi même, du sacrifice de ses plus chers intérêts, et de toutes ces vertus héroïques que nous trouvons dans les anciens, et dont nous avons seulement entendu parler.

Les lois y tiennent la place de toutes ces vertus, dont on n’a aucun besoin ; l’État vous en dispense [2] : une action qui se fait sans bruit, y est en quelque façon sans conséquence.

Quoique tous les crimes soient publics par leur nature, on distingue pourtant les crimes véritablement publics d’avec les crimes privés, ainsi appelés, parce qu’ils offensent plus un particulier, que la société entière [3].

Or, dans les républiques, les crimes privés sont plus publics, c’est-à-dire choquent plus la constitution de

  1. Par vertu, entendez toujours le patriotisme, l'amour de la liberté.
  2. Lettres persanes, lettre XIV.
  3. Inf., XI, XVIII.