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DE L'ESPRIT DES LOIS.


prince, ou les limites qu’elle s’est de tout temps prescrites [1].

Autant que le pouvoir du clergé est dangereux dans une république, autant est-il convenable dans une monarchie, surtout dans celles qui vont au despotisme. Où en seroient l’Espagne et le Portugal depuis la perte de leurs lois, sans ce pouvoir qui arrête seul la puissance arbitraire ? Barrière toujours bonne, lorsqu’il n’y en a point d’autre : car, comme le despotisme cause à la nature humaine des maux effroyables, le mal même qui le limite est un bien.

Comme la mer, qui semble vouloir couvrir toute la terre [2], est arrêtée par les herbes et les moindres graviers qui se trouvent sur le rivage ; ainsi les monarques, dont le pouvoir paroît sans bornes, s’arrêtent par les plus petits obstacles, et soumettent leur fierté naturelle à la plainte et à la prière.

Les Anglois, pour favoriser la liberté, ont ôté toutes les puissances intermédiaires qui formoient leur monarchie. Ils ont bien raison de conserver cette liberté ; s’ils venoient à la perdre, ils seroient un des peuples les plus esclaves de la terre.

M. Law [3], par une ignorance égale de la constitution républicaine et de la monarchique, fut un des plus grands promoteurs du despotisme que l’on eut encore vus en Europe. Outre les changements qu’il fit, si brusques, si inusités, si inouïs, il vouloit ôter les rangs intermédiaires, et anéantir les corps politiques : il dissolvoit [4] la monar-

  1. V. l'Éloge de Montesquieu, par Maupertuis, dans notre édition, tome I, page 23.
  2. A. B. Couvrir la terre.
  3. Lettres persanes, CXLVL
  4. Ferdinand, roi d’Aragon, se fit grand maître des ordres, et cela seul altéra la constitution. (M.)