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PRÉFACE.


que ceux qui obéissent trouvassent un nouveau plaisir à obéir, Je me croirois le plus heureux des mortels.

Je me croirois le plus heureux des mortels, si je pouvois faire que les hommes pussent se guérir de leurs préjugés, rappelle ici préjugés, non pas ce qui fait qu'on ignore de certaines choses, mais ce qui fait qu'on s'ignore soi-même.

C'est en cherchant à instruire les hommes, que l'on peut pratiquer cette vertu générale qui comprend l'amour de tous. L’homme, cet être flexible, se pliant, dans la société, aux pensées et aux impressions des autres, est également capable de connoître sa propre nature lorsqu’on la lui montre, et d’en perdre jusqu’au sentiment lorsqu’on la lui dérobe.

J’ai bien des fois commencé, et bien des fois abandonné cet ouvrage ; j’ai mille fois envoyé aux [1] vents les feuilles que j’avois écrites ; je sentois tous les jours les mains paternelles tomber [2] ; je suivois mon objet sans former de dessein ; je ne connoissois ni les règles ni les exceptions ; je ne trouvois la vérité que pour la perdre. Mais, quand j’ai découvert mes principes, tout ce que je cherchois est venu à moi ; et, dans le cours de vingt années, j’ai vu mon ouvrage commencer, croître, s’avancer et finir.

Si cet ouvrage a du succès, je le devrai beaucoup à la majesté de mon sujet ; cependant je ne crois pas avoir totalement manqué de génie. Quand j’ai vu ce que tant de grands hommes, en France, en Angleterre et en Allemagne [3], ont écrit avant moi, j’ai été dans l’admiration ; mais je n’ai point perdu le courage : « Et moi aussi, je suis peintre [4], » ai-je dit avec le Corrège.

  1. Ludibria ventis. (M.)
  2. Bis patriœ cecidere manus..... (M.)
  3. A. En France et en Allemagne.
  4. Ed io anche son pittore. (M.)
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