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DE L’ESPRIT DES LOIS.


qui en fait rentrer le produit en entier dans le fisc public, est, sans comparaison, moins à charge au peuple, et par conséquent plus avantageuse, lorsqu’elle peut avoir lieu, que la ferme de ces mêmes tributs, qui laisse toujours entre les mains de quelques particuliers une partie des revenus de l’État. Tout est perdu surtout (ce sont ici les termes de l’auteur) lorsque la profession de traitant devient honorable ; et elle le devient dès que le luxe est en vigueur. Laisser quelques hommes se nourrir de la substance publique pour les dépouiller à leur tour, comme on l’a autrefois pratiqué dans certains États, c’est réparer une injustice par une autre, et faire deux maux au lieu d’un.

Venons maintenant, avec M. de Montesquieu, aux circonstances particulières indépendantes de la nature du gouvernement, et qui doivent en modifier les lois. Les circonstances qui viennent de la nature du pays sont de deux sortes : les unes ont rapport au climat, les autres au terrain. Personne ne doute que le climat n’influe sur la disposition habituelle des corps, et par conséquent sur les caractères ; c’est pourquoi les lois doivent se conformer au physique du climat dans les choses indifférentes, et au contraire le combattre dans les effets vicieux. Ainsi, dans les pays où l’usage du vin est nuisible, c’est une très-bonne loi que celle qui l’interdit ; dans les pays où la chaleur du climat porte à la paresse, c’est une très-bonne loi que celle qui encourage au travail. Le gouvernement peut donc corriger les effets du climat ; et cela suffît pour mettre l'Esprit des Lois à couvert du reproche très-injuste qu’on lui a fait d’attribuer tout au froid et à la chaleur ; car, outre que la chaleur et le froid ne sont pas la seule chose par laquelle les climats soient distingués, il seroit aussi absurde de nier certains effets du climat que de vouloir lui attribuer tout.

L’usage des esclaves, établi dans les pays chauds de l’Asie et de l’Amérique, et réprouvé dans les climats tempérés de l’Europe, donne sujet à l’auteur de traiter de l’esclavage civil. Les hommes n’ayant pas plus de droit sur la liberté que sur