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ANALYSE RAISONNÉE


jeta les fondements de Pétersbourg dans la vue de former un entrepôt du commerce de l'univers.

Notre auteur, tout plein qu’il est de ces deux idées : l'une, que le commerce est la source de la conservation et de l’agrandissement des états, l’autre, que les Romains avoient la meilleure police du monde, avoue néanmoins que les Romains furent éloignés du commerce par leur gloire, par leur constitution politique, par leur droit des gens, par leur droit civil. A la ville, ils n’étoient occupés que de guerres d'élections, de brigues ; à la campagne, que d*agriculture : dans les provinces, un gouvernement dur et tyrannique étoit incompatible avec le commerce. Cela fit qu’ils n’eurent jamais de jalousies de commerce. Ils attaquèrent Carthage comme puissance rivale, et non comme nation commerçante. En effet, à Rome, dans la force de son institution, les fortunes étoient à peu près égales : à Carthage, des particuliers avoient des richesses de rois. Comme les Romains ne faisoient cas que des troupes de terre, les gens de mer n’étoient ordinairement que des affranchis. Leur politique fut de se séparer de toutes les nations non assujetties : la crainte de leur porter l’art de vaincre fit négliger l’art de s’enrichir. Leur commerce intérieur étoit celui de l’importation des bleds ; ce qui étoit un objet important, non de commerce, mais d’une sage police pour la subsistance du peuple de Rome. Le négoce de l’Arabie heureuse et celui des Indes furent presque les deux seules branches du commerce extérieur. Mais ce négoce ne se soutenoit que par l’argent des Romains ; et si les marchandises de l’Arabie et des Indes se vendoient à Rome le centuple, ce profit des Romains se faisoit sur les Romains mêmes, et n’enrichissoit point l’empire ; quoique à autre côté on puisse dire que ce commerce procuroit aux Romains une grande navigation, c’est-à-dire une grande puissance ; que des marchandises nouvelles augmentoient le commerce intérieur, favorisoient les arts, entretenoient l’industrie ; que le nombre des citoyens se multiplioit à proportion des nouveaux moyens