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ANALYSE RAISONNÉE


Ici notre auteur, conduit plus, si j’ose le dire, par un esprit citoyen que philosophique, se hâte d’aller au fait. Il veut que la méditation du lecteur se charge de placer d’autres vérités dans la chaîne de celles qu’il établit sur des fondements solides. Il l’emporte dans ce qui est essentiel au sujet, sans le fatiguer par de longs détours ; il suppose qu’il sait tout cela [1] : on diroit que sa modestie se plaît à partager avec le lecteur attentif la gloire de l’invention.

Comme notre auteur sait être savant sans rougir, ainsi que quelques-uns de nos pères, d’être philosophe, il sait être philosophe sans rougir, comme la plupart des esprits de nos jours, d’être savant. Ainsi, s’accommodant de ce sage milieu, c’est par le concours mutuel d’un jugement subtil et délié dans les sciences les plus abstraites, et d’un choix des matériaux tirés d’une vaste érudition, qu’il excelle et triomphe dans tout son ouvrage, surtout ici lorsqu’il examine les lois par rapport aux révolutions que le commerce a eues dans le monde.

Il est agréable, et ce plaisir renferme beaucoup d’instruction, de voir, à l’aide de ses éclaircissements, comment certaines causes physiques, telles que la qualité du terroir ou du climat, comment la différence des besoins des peuples, soit simples, soit voluptueux, leur paresse, leur industrie, ont pu fixer, dans tous les âges, la nature du commerce dans quelques contrées.

C’est aussi un spectacle digne des recherches d’un génie du premier ordre, comme celui de notre auteur, de voir le commerce, tantôt détruit, tantôt gêné, tantôt favorisé, fuir des lieux où il étoit opprimé, se reposer où on le laissoit respirer, régner aujourd’hui où l’on ne voyoit que des déserts, des mers et des rochers, et là où il régnoit, n’y avoir que des déserts ; changements qui ont rendu la terre si peu semblable à elle-même.

  1. Semper ad eventum festinat, et in médias res,
    Non secus ac notas, auditorem rapit.....
    HOR., de Art. poet.