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ANALYSE RAISONNÉE


mœurs et les belles institutions de Solon, reçut des plaies profondes, sans pouvoir retrouver aucun vestige de cette ancienne politique mâle et vigoureuse, qui savoit préparer les bons succès et réparer les mauvais. Dès lors Athènes, autrefois si peuplée d’ambassadeurs qui venoient en foule réclamer sa protection ; Athènes, superbe par le nombre de ses vaisseaux, de ses troupes, de ses arsenaux, par l’empire de la mer, fut réduite à combattre, non pour la prééminence sur les Grecs, mais pour la conservation de ses foyers. Quel spectacle affreux de voir des scélérats qui conspiroient à la ruine de la patrie, prétendre aux honneurs rendus à Thémistocle, et aux héros qui moururent aux batailles de Marathon et de Platée ! Cela fit que des citoyens impies, et vendus aux puissances ennemies lorsqu’elles prospéroient, se promenoient avec un visage content et serein dans les places publiques ; et, au récit des événements heureux pour la patrie, ils n’étoient point honteux de trembler, de gémir, de baisser les yeux vers la terre. Cela fit qu’on vit paroître sur la tribune, des flatteurs, des prévaricateurs, des mercenaires, pour proposer des décrets aussi fastueux que lâches et scandaleux, qui dégradoient la cité et la couvroient d’opprobre. Ce fut enfin par la corruption de ces principes que tout fut perdu à Rome. Rome, cette ville réputée éternelle, qu’on vénéroit comme un temple ; Rome, dont le sénat étoit respecté comme une assemblée de rois, où l'on voyoit les rois étrangers se prosterner et baiser le pas de la porte, appelant les sénateurs leurs patrons, leurs souverains, leurs dieux ; Rome enfin, dont le gouvernement étoit regardé comme le plus grand et le plus beau chef-d’œuvre qui fut jamais parmi les humains, perdit par la corruption de ses principes la force de son institution. Plus de patrie, plus de lois, plus de mœurs, plus de déférence, plus d’intérêt public, plus de devoirs. Les citoyens, qui le diroit ! à la vue même du Capitole et de ses dieux, déserteurs de la foi de leurs pères, ne sentant plus de répugnance pour l’esclavage, s’apprivoisèrent avec la tyrannie, contents de jouir