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ANALYSE RAISONNÉE


douceur et la modération sont les vertus propres des grandes âmes, nées pour faire le bonheur des peuples. Il faut en convenir, les connoissances rendent les hommes doux, la raison porte à l'humanité, et il n’y a que les préjugés qui y fassent renoncer.

Ainsi, ce n'est pas ici un de ces législateurs qui, avec un air irrité et terrible, avec des yeux pleins d’un feu sombre, lance des regards farouches, menace, tonne, et porte l’épouvante partout, et ne sachant être juste sans outrer la justice même, ni bienfaisant sans avoir été oppresseur, prend toujours les voies extrêmes pour agir avec violence au lieu de juger, pour faire des outrages au lieu de punir, pour exterminer tout par le glaive au lieu de régler.

C’est un bon législateur qui cherche plutôt à corriger qu’à mortifier, plutôt à humilier qu’à déshonorer, plutôt à prévenir des crimes qu’à les punir, plutôt à inspirer des mœurs qu’à infliger des supplices, plutôt à obliger à vivre selon les règles de la société qu’à retrancher de la société : c’est un sage magistrat qui sait distinguer les cas où il faut être neutre, et ceux où il faut être protecteur ; parce qu’il a assez d’esprit et de cœur pour saisir le point critique et délicat auquel la justice finit et où commence l’oppression, qui, étant exercée à l’ombre de la justice et de sang-froid, seroit la source la plus empoisonnée d’une tyrannie sourde et inexorable : c’est un père tendre et compatissant, qui sait trouver ce sage milieu entre l'indolence et la dureté, je veux dire la clémence.

Il n’est pas indifférent que je fasse ici une remarque. Quand notre auteur parle des peines, il ne faut pas attendre de lui des interprétations, des déclarations, des axiomes et des décisions, comme on voit dans les livres des jurisconsultes : ce seroit n’avoir pas une idée juste de son ouvrage que de le regarder dans un point de vue si borné. Notre auteur, ici comme partout ailleurs, aspire à quelque chose de plus haut, de plus noble et de plus étendu ; il n'enseigne