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ARSACE ET ISMÉNIE.


la pourpre de Tyr. Toute la maison goûtait une joie naïve. Nous descendions avec plaisir à l’égalité de la nature ; nous étions heureux, et nous voulions vivre avec des gens qui le fussent. Le bonheur faux rend les hommes durs et superbes, et ce bonheur ne se communique point. Le vrai bonheur les rend doux et sensibles, et ce bonheur se partage toujours.

Je me souviens qu’Ardasire fit le mariage d’une de ses favorites avec un de mes affranchis. L’amour et la jeunesse avaient formé cet hymen. La favorite dit à Ardasire : Ce jour est aussi le premier jour de votre hyménée. Tous les jours de ma vie, répondit-elle, seront ce premier jour.

Vous serez peut-être surpris, qu’exilé et proscrit de la Médie, n’ayant eu qu’un moment pour me préparer à partir, ne pouvant emporter que l’argent et les pierreries qui se trouvaient sous ma main, je pusse avoir assez de richesses dans la Margiane pour y avoir un palais, un grand nombre de domestiques et toutes sortes de commodités pour la vie. J’en fus surpris moi-même, et je le suis encore. Par une fatalité que je ne saurais vous expliquer, je ne voyais aucune ressource, et j’en trouvais partout. L’or, les pierreries, les bijoux semblaient se présenter à moi. C’étaient des hasards, me direz-vous. Mais des hasards si réitérés, et perpétuellement les mêmes, ne pouvaient guère être des hasards. Ardasire crut d’abord que je voulais la surprendre, et que j’avais porté des richesses qu’elle ne connaissait pas. Je crus, à mon tour, qu’elle en avait qui m’étaient inconnues. Mais nous vîmes bien l’un et l’autre que nous étions dans l’erreur. Je trouvai plusieurs fois, dans ma chambre, des rouleaux où il y avait plusieurs centaines de dariques ; Ardasire trouvait dans la sienne des boîtes pleines de pierreries. Un jour que je me