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GRANDEUR ET DÉCADENCE


bien l’impuissance où étaient et où seront toujours les théologiens par eux-mêmes d’accommoder jamais leurs différends. On y voit un empereur[1] qui passe sa vie à les assembler, à les écouter, à les rapprocher ; on voit, de l’autre, une hydre de disputes qui renaissent sans cesse, et l’on sent qu’avec la même méthode, la même patience, les mêmes espérances, la même envie de finir, la même simplicité pour leurs intrigues, le même respect pour leurs haines, ils ne se seraient jamais accommodés jusqu’à la fin du monde.

En voici un exemple bien remarquable. À la sollicitation de l’Empereur, les partisans du patriarche Arsène firent une convention avec ceux qui suivaient le patriarche Joseph, qui portait que les deux partis écriraient leurs prétentions, chacun sur un papier, qu’on jetterait les deux papiers dans un brasier, que, si l’un des deux demeurait entier, le jugement de Dieu serait suivi, et que, si tous les deux étaient consumés, ils renonceraient à leurs différends. Le feu dévora les deux papiers ; les deux partis se réunirent ; la paix dura un jour. Mais, le lendemain, ils dirent que leur changement aurait dû dépendre d’une persuasion intérieure, et non pas du hasard, et la guerre recommença plus vive que jamais[2].

On doit donner une grande attention aux disputes des théologiens ; mais il faut la cacher autant qu’il est possible : la peine qu’on paraît prendre à les calmer les accréditant toujours, en faisant voir que leur manière de penser est si importante qu’elle décide du repos de l’État et de la sûreté du prince.

  1. Andronic Paléologue. (M.)
  2. Pachymère, liv. I. (M.)