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GRANDEUR ET DÉCADENCE


les revenus publics, et qu’enfin on ôta au corps de l’État ses entraves.

Quand je pense à l’ignorance profonde dans laquelle le clergé grec plongea les laïques, je ne puis m’empêcher de le comparer à ces Scythes dont parle Hérodote[1], qui crevaient les yeux à leurs esclaves afin que rien ne pût les distraire et les empêcher de battre leur lait [2].

L’impératrice Théodora rétablit les images, et les moines recommencèrent à abuser de la piété publique. Ils parvinrent jusqu’à opprimer le clergé séculier même : ils occupèrent tous les grands sièges[3], et exclurent peu à peu tous les ecclésiastiques de l’épiscopat. C’est ce qui rendit ce clergé intolérable, et, si l’on en fait le parallèle avec le clergé latin, si l’on compare la conduite des papes[4] avec celle des patriarches de Constantinople, on verra des gens aussi sages que les autres étaient peu sensés.

Voici une étrange contradiction de l’esprit humain. Les ministres de la religion chez les premiers Romains, n’étant pas exclus des charges et de la société civile, s’embarrassèrent peu de ses affaires. Lorsque la religion chrétienne fut établie, les ecclésiastiques, qui étaient plus séparés des affaires du monde, s’en mêlèrent avec modération. Mais, lorsque, dans la décadence de l’empire, les moines furent le seul clergé, ces gens, destinés par une profession plus particulière à fuir et à craindre les affaires, embrassèrent toutes les occasions qui purent leur y don-

  1. Liv. IV, ch. II. (M.)
  2. A : les distraire lorsqu’ils battoient leur lait.
  3. Voyez Pachymère, liv. VIII. (M.)
  4. A. de nos papes, etc. Leçon corrigée dans l’erratum.