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PRÉFACE DE L’ÉDITEUR.


Gnide qu'il veut bien le dire ? J’ai quelque peine à le croire, mais j’avoue qu’il fallait toute la liberté du XVIIIe siècle pour qu’un magistrat écrivît ce poème érotique, et le fît paraître avec approbation et privilège du Roi. Il est vrai que l’œuvre ne portait pas de nom ; mais l’auteur se laissait aisément deviner. Au dernier siècle, l’anonyme n’était qu’une coquetterie de plus.

Quel motif poussa Montesquieu à faire un roman, dont le mérite, dit-il, ne peut être reconnu que par des têtes bien frisées et bien poudrées ? Est-ce une erreur de jeunesse ? Non ; en 1725 il entrait dans sa trente-sixième année. Si l’on en croyait une note de l’abbé de Guasco[1], Montesquieu lui aurait dit que « c’étoit une idée à laquelle Mlle de Clermont, princesse du sang, qu’il avoit l’honneur de fréquenter, avoit donné occasion, sans autre but que de faire une peinture poétique de la volupté [2].» A ce compte, la maligne Mme Du Deffand avait doublement raison quand elle appelait ce petit poème l' apocalypse de la galanterie. Mais aujourd’hui on est moins crédule que l’excellent abbé de Guasco ; on se demande si Montesquieu lui a tout dit quand, en 1762, à dix-sept ans de distance, il lui a confié le secret du Temple de Gnide. Une phrase de Montesquieu, conservée dans ses Pensées : « A l’âge de trente-cinq ans j’aimois encore ; » le respect avec lequel le chantre de Gnide parle de Thémire, ces allégories qui ont l’air d’allusions perpétuelles, tout fait soupçonner un mystère qu’on laisse le soin d’éclaircir à ces curieux sans pitié, pour qui un livre est toujours une confession.

L’ouvrage fut accueilli avec faveur. Je ne dirai point avec d’Alembert que « M. de Montesquieu, après avoir été, dans les Lettres persanes, Horace, Théophraste et Lucien, fut Ovide et Anacréon dans le Temple de Gnide[3]. » De pareils éloges sont ridicules ; mais je ne partage pas la mauvaise humeur de Sainte-Beuve, qui déclare que le Temple de Gnide est une erreur de goût et une méprise de talent. Il y trouve de la roideur et point de grâce. C’est trop de sévérité. Assurément ce petit poème ne tient pas une grande place dans notre littéra-

  1. Lettre à l’abbé de Guasco. De Paris, 1742.
  2. D’Alembert, Éloge de Montesquieu.
  3. Causeries du lundi²², t. VII, p. 45.