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LETTRE VIII.


même avait ses inconvénients : je restais toujours exposé à la malice de mes ennemis, et je m’étais presque ôté les moyens de m’en garantir. Quelques avis secrets me firent penser à moi sérieusement : je résolus de m’exiler de ma patrie ; et ma retraite même de la cour m’en fournit un prétexte plausible. J’allai au roi ; je lui marquai l’envie que j’avais de m’instruire dans les sciences de l’Occident ; je lui insinuai qu’il pourrait tirer de l’utilité de mes voyages : je trouvai grâce devant ses yeux : je partis ; et je dérobai une victime à mes ennemis.

Voilà, Rustan, le véritable motif de mon voyage. Laisse parler Ispahan ; ne me défends que devant ceux qui m’aiment. Laisse à mes ennemis leurs interprétations malignes : je suis trop heureux que ce soit le seul mal qu’ils me puissent faire.

On parle de moi à présent : peut-être ne serai-je que trop oublié, et que mes amis... Non, Rustan, je ne veux point me livrer à cette triste pensée : je leur serai toujours cher ; je compte sur leur fidélité, comme sur la tienne.

D’Erzeron, le 20 de la lune de gemmadi 2, [1] 1711.

  1. Il y a deux gemmadi, ou djoumada, qui sont les cinquième et sixième mois de l’année musulmane.