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LETTRES PERSANES.


il me serait permis de sortir de ce lieu, où je suis enfermée par la nécessité de ma condition ; quand je pourrais me dérober à la garde qui m’environne ; quand il me serait permis de choisir parmi tous les hommes qui vivent dans cette capitale des nations ; Usbek, je te le jure, je ne choisirais que toi. Il ne peut y avoir que toi dans le monde qui mérite d’être aimé.

Ne pense pas que ton absence m’ait fait négliger une beauté qui t’est chère. Quoique je ne doive être vue de personne, et que les ornements dont je me pare soient inutiles à ton bonheur, je cherche cependant à m’entretenir dans l’habitude de plaire : je ne me couche point que je ne me sois parfumée des essences les plus délicieuses. Je me rappelle ce temps heureux, où tu venais dans mes bras ; un songe flatteur, qui me séduit, me montre ce cher objet de mon amour ; mon imagination se perd dans ses désirs, comme elle se flatte dans ses espérances. Je pense quelquefois que, dégoûté d’un pénible voyage, tu vas revenir à nous : la nuit se passe dans des songes qui n’appartiennent ni à la veille ni au sommeil : je te cherche à mes côtés, et il me semble que tu me fuis : enfin, le feu qui me dévore dissipe lui-même ces enchantements, et rappelle mes esprits. Je me trouve pour lors si animée... Tu ne le croirais pas, Usbek ; il est impossible de vivre dans cet état ; le feu coule dans mes veines. Que ne puis-je t’exprimer ce que je sens si bien ! et comment sens-je si bien ce que je ne puis t’exprimer ! Dans ces moments, Usbek, je donnerais [1] l’empire du monde pour

  1. 2e éd. Cologne, 1721. Je quitterais pour toi l’empire du monde... privée de celui qui peut seul les calmer... dans la fureur des passions. — Ce texte, que j’emprunte aux notes de M. André Lefebvre, est détestable. Ce n’est pas Montesquieu qui a défiguré ainsi son enfant. Cela sent la contrefaçon.