Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t1.djvu/55

Cette page n’a pas encore été corrigée
33
PRÉFACE DE L'ÉDITEUR.


accuser d’une sévérité outrée ; mais il y avait dans les Lettres persanes des traits d’une telle hardiesse contre le pape, les croyances catholiques y étaient si peu ménagées, l’ancien gouvernement y était si maltraité, qu’on ne doit pas s’étonner qu’en un temps où l’Académie était dans la main du prince, un évêque premier ministre hésitât à laisser entrer parmi les quarante l’auteur d’un livre aussi compromettant.

Montesquieu parvint cependant à tourner cette difficulté ; il finit par obtenir l’agrément du cardinal. Par quel moyen ? A ce sujet nous avons des versions différentes ; c’est peut-être ici le lieu d’éclaircir ce point assez obscur de l’histoire littéraire.

Voyons d’abord ce que nous dit l’avocat Mathieu Marais. Candidat in petto du président Bouhier, Marais eut un moment l’espoir de prendre à l’Académie la place qu’on refusait à Montesquieu. Il avait tout intérêt à se bien renseigner, et de plus c’est un curieux qui court après tous les bavardages de la ville, on peut avoir confiance en lui. Pourquoi le président Bouhier préférait-il un avocat obscur au président de Montesquieu ? C’est ce que nous ignorons. Jalousie de métier peut-être, ou rivalité de bel esprit ?

Voici les lettres de Marais au président :
« Paris, 3 novembre 1727.

« Vous allez être occupé à une élection à l’Académie : M. de Sacy est mort... On parle de lui faire succéder M. le président de Montesquieu, qui a certainement beaucoup d’esprit et de mérite, duquel vous jugerez mieux que moi, puisque vous allez en être juge. [1] »

« Paris, 26 novembre 1727.

« M. de Montesquieu n’est pas encore nommé. On lui dit : Si vous avez fait les Lettres persanes, il y en a une contre le corps de l’Académie et ses membres. [2] Si vous ne les avez pas faites, qu’avez-vous fait ? [3] »

L’objection n’est pas sérieuse. De tout temps on a raillé l’Académie quand on n’en était pas et de tout temps la compagnie

  1. Journal et Mémoires de Mathieu Marais, publiés par M. de Lescure, Paris, 1864, t. III, p. 494
  2. Lettre 73.
  3. Journal et Mémoires, etc., t. III, p. 501.