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PRÉFACE DE L'ÉDITEUR.


moins qu’un président à mortier du parlement de Bordeaux, un grave magistrat qui, en dehors de sa profession, ne s’était fait connaitre que par son goût pour les sciences naturelles. On conçoit qu’il ne voulût point livrer inutilement sa personne à la malignité publique ; il avait l’honneur de la robe à soutenir. Mais il avait soin de se laisser deviner dans l’introduction de son livre. « Si l’on vient à savoir mon nom, écrivait-il, dès ce moment je me tais... C’est assez des défauts de l’ouvrage sans que je présente encore à la critique ceux de ma personne. Si l’on savait qui je suis, on dirait : « Son livre jure avec son caractère ; il devrait employer son temps à quelque chose de mieux. » Les critiques ne manquent jamais ces sortes de réflexions parce qu’on peut les faire sans essayer beaucoup son esprit. »

La forme, nouvelle alors, ne manquait pas d’agrément. On n’était pas encore habitué à cette fiction d’étrangers, jugeant la France à la mesure des idées ou des préjugés de leur pays. Dans ce contraste des mœurs et des opinions, il y a toujours quelque chose de saisissant ; le seul défaut de cette fable ingénieuse, c’est qu’on en a trop usé.

Voltaire a dit que le Siamois des Amusements serieux et comiques de Dufresny avait inspiré Montesquieu. J’en doute. Le Siamois de Dufresny est un personnage de convention, qui n’a ni caractère, ni idées à lui. C’est, comme le dit l’auteur lui-même, un voyageur abstrait ; il n’est là que pour remplacer Dufresny, en ne le laissant pas parler seul tout le long de son livre. Voici du reste un passage de cette satire parisienne aujourd’hui oubliée quoiqu’elle ne manque pas d’esprit ; on verra quelle distance il y a entre la création de Montesquieu et celle de son prétendu modèle.


« Paris est un monde entier ; on y découvre chaque jour plus de pays nouveaux et de singularités surprenantes que dans tout le reste de la terre ; on distingue, dans les Parisiens seuls, tant de nations, de mœurs et de coutumes différentes, que les habitants même en ignorent la moitié. Imaginez-vous donc combien un Siamois y trouverait de nouveautés surprenantes. Quel amusement ne serait-ce point pour lui d’examiner avec des yeux de voyageur toutes les particularités de cette grande ville ? Il me prend envie de faire voyager ce Siamois avec moi ; ses idées bizarres et figurées me fourniront sans doute de la variété et peut-être de l’agrément.