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PRÉFACE DE L’ÉDITEUR

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C’est en 1721 que la première édition des Lettres persanes parut en deux volumes in-12 sous la rubrique d’Amsterdam et de Cologne. Le nom de l’auteur n’était pas indiqué ; les noms des deux libraires, Pierre Brunel d’Amsterdam, Pierre Marteau de Cologne, sont des pseudonymes. Ce mystère était d’usage au XVIIe et au XVIIIe siècle. Un Français qui disait librement son avis sur la religion et le gouvernement ne se souciait point d’avoir affaire aux ministres, au parlement, à la Sorbonne. Pour l’écrivain et pour l’imprimeur il y allait de la Bastille, et au besoin de la corde ; c’était trop de dangers à la fois. [1] Du reste, sous la régence l’ancienne rigueur s’était adoucie ; les mœurs étaient devenues plus tolérantes que les lois. Pourvu que l’auteur fit paraître son œuvre à l’étranger et ne livrât pas son nom à la curiosité publique, il pouvait impunément recevoir les compliments de ceux qui l’auraient jeté dans un cachot, s’il avait eu l’audace d’imprimer à Paris ce qu’il publiait à Amsterdam.

Les Lettres persanes eurent un grand succès ; on en fit trois ou quatre éditions la même année. [2] Comment en eût-il été autrement ? tout était piquant dans cette publication, le nom de l’auteur, la forme et le fond du livre.

L’auteur, dont on se répétait le nom à l’oreille, n’était rien de

  1. Pour publier un livre, il fallait se cacher comme un malfaiteur. Montesquieu avait envoyé son manuscrit en Hollande par son secrétaire l’abbé Duval, ce qui, nous dit le fidèle Guasco, coûta à l’auteur beaucoup de frais sans aucun profit (Lettres familières de Montesquieu, lettre II). Plus tard ce fut M. Sarrasin, résident de Genève à Paris, qui porta furtivement à Barillot le manuscrit de l’Esprit des lois.
  2. Il y a deux éditions d’Amsterdam, 1721, chez Pierre Bunel, l’une a la sphère, l’autre au polygone à neuf pans, dans lequel sont inscrits trois triangles. Il y en a une ou deux sous la rubrique de Cologne, 1721, chez Pierre Marteau.