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LETTRES PERSANES.




LETTRE CXLIII.


RICA A NATHANAEL LÉVI, MÉDECIN JUIF.


A LIVOURNE.




Tu me demandes ce que je pense de la vertu des amulettes, et de la puissance des talismans. Pourquoi t’adresses-tu à moi ? Tu es Juif, et je suis Mahométan ; c’est-à-dire, que nous sommes tous deux bien crédules.

Je porte toujours sur moi plus de deux mille passages du saint Alcoran : j’attache à mes bras un petit paquet, où sont écrits les noms de plus de deux cents dervis : ceux d’Hali, de Fatmé, et de tous les purs, sont cachés en plus de vingt endroits de mes habits.

Cependant je ne désapprouve point ceux qui rejettent cette vertu que l’on attribue à de certaines paroles. Il nous est bien plus difficile de répondre à leurs raisonnements, qu’à eux de répondre à nos expériences.

Je porte tous ces chiffons sacrés, par une longue habitude, pour me conformer à une pratique universelle : je crois que, s’ils n’ont pas plus de vertu que les bagues et les autres ornements dont on se pare, ils n’en ont pas moins. Mais toi, tu mets toute ta confiance sur quelques lettres mystérieuses ; et, sans cette sauvegarde, tu serais dans un effroi continuel.

Les hommes sont bien malheureux ! Ils flottent sans