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LETTRES PERSANES.


viennent me l’apporter, je les punirai sévèrement. [1] Puis il ajouta, d’un air tout à fait persuasif : Croyez-vous que ce soit pour garder ces misérables métaux, que je vous les demande ? Une marque de ma candeur, c’est que, lorsque vous me les apportâtes, il y a quelques jours, je vous en rendis sur-le-champ la moitié. [2]

« Le lendemain, on l’aperçut de loin, et on le vit s’insinuer avec une voix douce et flatteuse : Peuples de Bétique, j’apprends que vous avez une partie de vos trésors dans les pays étrangers : je vous prie, faites-les-moi venir ; [3] vous me ferez plaisir, et je vous en aurai une reconnaissance éternelle.

« Le fils d’Éole parlait à des gens qui n’avaient pas grande envie de rire ; ils ne purent pourtant s’en empêcher : ce qui fit qu’il s’en retourna bien confus. Mais, reprenant courage, il hasarda encore une petite prière. Je sais que vous avez des pierres précieuses : au nom de Jupiter, défaites-vous-en ; rien ne vous appauvrit comme ces sortes de choses ; défaites-vous-en, vous dis-je. [4] Si vous ne le pouvez pas par vous-mêmes, je vous donnerai des hommes d’affaires excellents. Que de richesses vont couler chez vous, si vous faites ce que je vous conseille ! Oui, je vous promets tout ce qu’il y a de plus pur dans mes outres.

« Enfin, il monta sur un tréteau ; et, prenant une voix plus assurée, il dit : Peuples de Bétique, j’ai comparé l’heureux état dans lequel vous êtes, avec celui où je vous trouvai lorsque j’arrivai ici ; je vous vois le plus riche peuple de la terre : mais, pour achever votre fortune, souffrez que je vous ôte la moitié de vos biens. [5] A ces mots, d’une aile légère, le fils d’Éole disparut, et laissa ses auditeurs dans une consternation inexprimable ; ce qui fit qu’il revint le lendemain, et parla ainsi : Je m’aperçus hier que mon discours vous déplut extrêmement. Eh bien ! prenez que je ne vous aie rien dit. Il est vrai ; la moitié, c’est trop.

  1. On avait ordonné de porter toutes les espèces à la Banque.
  2. A l’origine on remboursait les billets, moitié en papier, moitié en espèces.
  3. Ordonnance du roi du 20 juin 1720. Mémoires de Mathieu Marais, t.1, p. 315.
  4. Arrêt du 4 juillet 1720. Mémoires de Mathieu Marais, t. I, p. 315.
  5. Mémoires de Mathieu Marais, t. I, p. 387.