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LETTRES PERSANES.


étaient auprès d’elle de prendre la figure de son mari, d’aller dans son sérail, de s’en rendre maître, de l’en chasser ; et d’y rester à sa place, jusqu’à ce qu’elle le rappelât.

L’exécution fut prompte : il fendit les airs, arriva à la porte du sérail d’Ibrahim, qui n’y était pas. Il frappe ; tout lui est ouvert ; les eunuques tombent à ses pieds, il vole vers les appartements où les femmes d’Ibrahim étaient enfermées. Il avait, en passant, pris les clefs dans la poche de ce jaloux, à qui il s’était rendu invisible. Il entre, et les surprend d’abord par son air doux et affable ; et bientôt après, il les surprend davantage par ses empressements, et par la rapidité de ses entreprises. Toutes eurent leur part de l’étonnement ; et elles l’auraient pris pour un songe, s’il y eût eu moins de réalité.

Pendant que ces nouvelles scènes se jouent dans le sérail, Ibrahim heurte, se nomme, tempête et crie. Après avoir essuyé bien des difficultés, il entre, et jette les eunuques dans un désordre extrême. Il marche à grands pas ; mais il recule en arrière, et tombe comme des nues, quand il voit le faux Ibrahim, sa véritable image, dans toutes les libertés d’un maître. Il crie au secours ; il veut que les eunuques lui aident à tuer cet imposteur : mais il n’est pas obéi. Il n’a plus qu’une bien faible ressource ; c’est de s’en rapporter au jugement de ses femmes. Dans une heure, le faux Ibrahim avait séduit tous ses juges. L’autre est chassé, et traîné indignement hors du sérail ; et il aurait reçu la mort mille fois, si son rival n’avait ordonné qu’on lui sauvât la vie. Enfin, le nouvel Ibrahim, resté maître du champ de bataille, se montra de plus en plus digne d’un tel choix, et se signala par des miracles jusqu’alors inconnus. Vous ne ressemblez pas à Ibrahim,