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LETTRE CXLI.


on la porta dans un lit superbe, où deux hommes d’une beauté charmante la reçurent dans leurs bras. C’est pour lors qu’elle fut enivrée, et que ses ravissements passèrent même ses désirs. Je suis toute hors de moi, leur disait-elle : je croirais mourir, si je n’étais sûre de mon immortalité. C’en est trop, laissez-moi, je succombe sous la violence des plaisirs. Oui, vous rendez un peu le calme à mes sens ; je commence à respirer, et à revenir à moi-même. D’où vient que l’on a ôté les flambeaux ? Que ne puis-je à présent considérer votre beauté divine ! Que ne puis-je voir... Mais, pourquoi voir ? Vous me faites rentrer dans mes premiers transports. O dieux ! que ces ténèbres sont aimables ! Quoi ! je serai immortelle ; et immortelle avec vous ! je serai... Non, je vous demande grâce ; car je vois bien que vous êtes gens à n’en demander jamais.

Après plusieurs commandements réitérés, elle fut obéie : mais elle ne le fut que lorsqu’elle voulut l’être bien sérieusement. Elle se reposa languissamment, et s’endormit dans leurs bras. Deux moments de sommeil réparèrent sa lassitude : elle reçut deux baisers qui l’enflammèrent soudain, et lui firent ouvrir les yeux. Je suis inquiète, dit-elle ; je crains que vous ne m’aimiez plus. C’était un doute dans lequel elle ne voulait pas rester longtemps : aussi eut-elle avec eux tous les éclaircissements qu’elle pouvait désirer. Je suis désabusée, s’écria-t-elle ; pardon, pardon ; je suis sûre de vous. Vous ne me dites rien ; mais vous prouvez mieux que tout ce que vous me pourriez dire ; oui, oui, je vous le confesse, on n’a jamais tant aimé. Mais, quoi ! vous vous disputez tous deux l’honneur de me persuader ! Ah ! si vous vous disputez, si vous joignez l’ambition au plaisir de ma défaite, je suis perdue ; vous serez tous deux vainqueurs, il n’y aura que moi