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LETTRES PERSANES.


conte persan. Peut-être seras-tu bien aise de le voir travesti. [1]

Du temps de Cheik-Ali-Can, il y avait en Perse une femme nommée Zuléma  ; elle savait par cœur tout le saint Alcoran ; il n’y avait point de dervis qui entendît mieux qu’elle les traditions des saints prophètes ; les docteurs arabes n’avaient rien dit de si mystérieux qu’elle n’en comprît tous les sens ; et elle joignait, à tant de connaissances, un certain caractère d’esprit enjoué qui laissait à peine deviner si elle voulait amuser ceux à qui elle parlait, ou les instruire.

Un jour qu’elle était avec ses compagnes dans une des salles du sérail, une d’elles lui demanda ce qu’elle pensait de l’autre vie ; et si elle ajoutait foi à cette ancienne tradition de nos docteurs, que le paradis n’est fait que pour les hommes.

C’est le sentiment commun, leur dit-elle : il n’y a rien que l’on n’ait fait pour dégrader notre sexe. Il y a même une nation répandue par toute la Perse, qu’on appelle la nation juive, qui soutient, par l’autorité de ses livres sacrés, que nous n’avons point d’âme.

Ces opinions si injurieuses n’ont d’autre origine que l’orgueil des hommes, qui veulent porter leur supériorité au delà même de leur vie, et ne pensent pas que, dans le grand jour, toutes les créatures paraîtront devant Dieu comme le néant, sans qu’il y ait entre elles de prérogatives que celles que la vertu y aura mises.

Dieu ne se bornera point dans ses récompenses : et comme les hommes qui auront bien vécu, et bien usé de

  1. Travesti est ici synonyme de traduit.