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LETTRES PERSANES.


les autres, qu’on donne sous ce nom, ne le sont point ; c’est aussi ce que je ne sais pas. Ils disent, de plus, qu’il est impossible d’en faire de nouveaux ; et cela est encore plus surprenant. [1]

Voici les poètes dramatiques, qui, selon moi, sont les poètes par excellence, et les maîtres des passions. Il y en a de deux sortes : les comiques, qui nous remuent si doucement ; et les tragiques, qui nous troublent et nous agitent avec tant de violence.

Voici les lyriques, que je méprise autant que j’estime les autres, [2] et qui font de leur art une harmonieuse extravagance.

On voit ensuite les auteurs des idylles et des églogues, qui plaisent, même aux gens de cour, par l’idée qu’ils leur donnent d’une certaine tranquillité qu’ils n’ont pas, et qu’ils leur montrent dans la condition des bergers.

De tous les auteurs que nous avons vus, voici les plus dangereux : ce sont ceux qui aiguisent les épigrammes, qui sont de petites flèches déliées, qui font une plaie profonde et inaccessible aux remèdes.

Vous voyez ici les romans, dont les auteurs sont des espèces de poètes, [3] et qui outrent également le langage de l’esprit et celui du cœur ; ils passent leur vie à chercher la

  1. M. Meyer, Études de critique ancienne et moderne, Paris, 1850, a vu dans cette phrase une épigramme anticipée contre la Henriade, déjà commencée, et circulant en manuscrit. Montesquieu n’a jamais eu de goût ni pour Voltaire, ni pour la poésie ; il n’est pas impossible qu’il ait fait allusion au poème de la Ligue, premier nom de la Henriade.
  2. A. C. Autant que je fais cas des autres.
  3. A. C. et l’édition de 1754 lisent : Vous voyez ici les romans qui sont des espèces de poëtes, etc. Montesquieu se serait donc servi du mot de romans comme synonyme de romanciers. J’ai peine à admettre ce sens insolite qui a été défendu par quelques bons éditeurs modernes. Voyez cependant inf., lettre CXLI : « Elle aime la lecture des poëtes et des romans. »