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LETTRES PERSANES.


de la nature et de la puissance de l’art, qui font trembler quand ils traitent des maladies même les plus légères, tant ils nous rendent la mort présente ; mais qui nous mettent dans une sécurité entière, quand ils parlent de la vertu des remèdes, comme si nous étions devenus immortels.

Tout près de là, sont les livres d’anatomie, qui contiennent bien moins la description des parties du corps humain, que les noms barbares qu’on leur a donnés : chose qui ne guérit ni le malade de son mal, ni le médecin de son ignorance.

Voici la chimie, [1] qui habite, tantôt l’hôpital, et tantôt les Petites-Maisons, comme des demeures qui lui sont également propres.

Voici les livres de science, ou plutôt d’ignorance occulte ; tels sont ceux qui contiennent quelque espèce de diablerie : exécrables, selon la plupart des gens ; pitoyables, selon moi. Tels sont encore les livres d’astrologie judiciaire. Que dites-vous, mon père ? Les livres d’astrologie judiciaire ! repartis-je avec feu. Et ce sont ceux dont nous faisons le plus de cas en Perse. Ils règlent toutes les actions de notre vie, et nous déterminent dans toutes nos entreprises : les astrologues sont proprement nos directeurs ; ils font plus, ils entrent dans le gouvernement de l’état. Si cela est, me dit-il, vous vivez sous un joug bien plus dur que celui de la raison. Voilà le plus étrange de tous les empires : [2] je plains bien une famille, et encore plus une nation, qui se laisse si fort dominer par les pla-

  1. Il s’agit ici de l’alchimie, qui n’a de commun que le nom avec la science toute moderne de la chimie.
  2. A. C. Voilà ce qui s'appelle le plus étrange de tous les empires.