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LETTRE CXXXII.

Enfin je vis entrer un vieillard pâle et sec, que je reconnus pour nouvelliste avant qu’il se fût assis ; il n’était pas du nombre de ceux qui ont une assurance victorieuse contre tous les revers, et présagent toujours les victoires et les trophées ; c’était, au contraire, un de ces trembleurs qui n’ont que des nouvelles tristes. Les affaires vont bien mal du côté d’Espagne, dit-il ; nous n’avons point de cavalerie sur la frontière, et il est à craindre que le prince Pio, qui a un gros corps, ne fasse contribuer tout le Languedoc. Il y avait vis-à-vis de moi un philosophe assez mal en ordre qui prenait le nouvelliste en pitié, et haussait les épaules à mesure que l’autre haussait la voix. Je m’approchai de lui, et il me dit à l’oreille : Vous voyez que ce fat nous entretient, il y a une heure, de sa frayeur pour le Languedoc ; et moi, j’aperçus hier au soir une tache dans le soleil, qui, si elle augmentait, pourrait faire tomber toute la nature en engourdissement, et je n’ai pas dit un seul mot.

De Paris, le 17 de la lune de rhamazan, 1719.