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LETTRES PERSANES.





LETTRE CXXVIII.


RICA A USBEK.


A ***.



Je passais l’autre jour sur le Pont-Neuf avec un de mes amis : il rencontra un homme de sa connaissance, qu’il me dit être un géomètre ; et il n’y avait rien qui n’y parût, car il était dans une rêverie profonde : il fallut que mon ami le tirât longtemps par la manche, et le secouât pour le faire descendre jusqu’à lui, tant il était occupé d’une courbe, qui le tourmentait peut-être depuis plus de huit jours. Ils se firent tous deux beaucoup d’honnêtetés, et s’apprirent réciproquement quelques nouvelles littéraires. Ces discours les menèrent jusque sur la porte d’un café, où j’entrai avec eux.

Je remarquai que notre géomètre y fut reçu de tout le monde avec empressement, et que les garçons du café en faisaient beaucoup plus de cas que de deux mousquetaires qui étaient dans un coin. Pour lui, il parut qu’il se trouvait dans un lieu agréable ; car il dérida un peu son visage, et se mit à rire, comme s’il n’avait pas eu la moindre teinture de géométrie.

Cependant son esprit régulier toisait tout ce qui se disait dans la conversation. Il ressemblait à celui qui, dans