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LETTRE CXXI.


tous ses peuples dispersés ; et, si la moitié seulement de ces grandes colonies se conservait, l’Espagne deviendrait la puissance de l’Europe la plus redoutable.

On peut comparer les empires à un arbre dont les branches trop étendues ôtent tout le suc du tronc, et ne servent qu’à faire de l’ombrage.

Rien n’est plus propre à corriger [1] les princes de la fureur des conquêtes lointaines, que l’exemple des Portugais et des Espagnols.

Ces deux nations ayant conquis avec une rapidité inconcevable des royaumes immenses, plus étonnées de leurs victoires que les peuples vaincus de leur défaite, songèrent aux moyens de les conserver ; et prirent chacune, pour cela, une voie différente.

Les Espagnols, désespérant de retenir les nations vaincues dans la fidélité, prirent le parti de les exterminer, et d’y envoyer d’Espagne des peuples fidèles : jamais dessein horrible ne fut plus ponctuellement exécuté. On vit un peuple, aussi nombreux que tous ceux de l’Europe ensemble, disparaître de la terre, à l’arrivée de ces barbares, qui semblèrent, en découvrant les Indes, n’avoir pensé qu’à découvrir aux hommes [2] quelle était le dernier période de la cruauté.

Par cette barbarie, ils conservèrent ce pays sous leur domination. Juge par là combien les conquêtes sont funestes, puisque les effets en sont tels. Car enfin, ce remède affreux était unique. [3] Comment auraient-ils pu

  1. A. C. Rien ne devroit corriger.
  2. A. En découvrant les Indes, avoir voulu en même temps découvrir aux hommes.
  3. Les Anglais n’ont pas détruit les peuples de l’Inde, et cependant ils les retiennent dans l’obéissance.