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LETTRES PERSANES.


comme le premier jour : bien loin que ce vide se remplisse, il devient tous les jours plus grand.

Depuis la dévastation de l’Amérique, les Espagnols, qui ont pris la place de ses anciens habitants, n’ont pu la repeupler : au contraire, par une fatalité que je ferais mieux de nommer une justice divine, les destructeurs se détruisent eux-mêmes, et se consument tous les jours.

Les princes ne doivent donc point songer à peupler de grands pays par des colonies. [1] Je ne dis pas qu’elles ne réussissent quelquefois ; il y a des climats si heureux, que l’espèce s’y multiplie toujours ; témoin ces îles [2] qui ont été peuplées par des malades que quelques vaisseaux y avaient abandonnés, et qui y recouvraient aussitôt la santé.

Mais, quand ces colonies réussiraient, au lieu d’augmenter la puissance, elles ne feraient que la partager ; à moins qu’elles n’eussent très-peu d’étendue, comme sont celles que l’on envoie pour occuper quelque place pour le commerce.

Les Carthaginois avaient, comme les Espagnols, découvert l’Amérique, ou au moins de grandes îles dans lesquelles ils faisaient un commerce prodigieux ; mais, quand ils virent le nombre de leurs habitants diminuer, cette sage république défendit à ses sujets ce commerce et cette navigation.

J’ose le dire : au lieu de faire passer les Espagnols dans les Indes, il faudrait faire repasser les Indiens et les métifs [3] en Espagne ; il faudrait rendre à cette monarchie

  1. Témoin l’Amérique du Nord et l’Australie ?
  2. L’auteur parle peut-être de l’Ile de Bourbon. (M.)
  3. A. Tous les métifs.

    Les métifs ou métis sont les fils d'Indiens ou d'Espagnols.