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LETTRE CXIX.


nent une nouvelle vie, chacun est porté à augmenter une famille si soumise dans cette vie, et si nécessaire dans l’autre.

D’un autre côté, les pays des mahométans deviennent tous les jours déserts, à cause d’une opinion, qui, toute sainte qu’elle est, ne laisse pas d’avoir des effets très-pernicieux, lorsqu’elle est enracinée dans les esprits. Nous nous regardons comme des voyageurs qui ne doivent penser qu’à une autre patrie : les travaux utiles et durables, les soins pour assurer la fortune de nos enfants, les projets qui tendent au delà d’une vie courte et passagère, nous paraissent quelque chose d’extravagant. Tranquilles pour le présent, sans inquiétude pour l’avenir, nous ne prenons la peine, ni de réparer les édifices publics, ni de défricher les terres incultes, ni de cultiver celles qui sont en état de recevoir nos soins : nous vivons dans une insensibilité générale, et nous laissons tout faire à la Providence.

C’est un esprit de vanité qui a établi, chez les Européens, l’injuste droit d’aînesse, si défavorable à la propagation, en ce qu’il porte l’attention d’un père sur un seul de ses enfants, et détourne ses yeux de tous les autres ; en ce qu’il l’oblige, pour rendre solide la fortune d’un seul, de s’opposer à l’établissement de plusieurs ; enfin, en ce qu’il détruit l’égalité des citoyens, qui en fait toute l’opulence.

De Paris, le 4 de la lune de rhamazan, 1718.