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LETTRE CXVI.


ensevelit l’autre avec elle, et la rend aussi inutile qu’elle l’est elle-même.

Il ne faut donc point s’étonner si l’on voit chez les chrétiens tant de mariages fournir un si petit nombre de citoyens. Le divorce est aboli ; les mariages mal assortis ne se raccommodent plus ; les femmes ne passent plus, comme chez les Romains, successivement dans les mains de plusieurs maris, qui en tiraient, dans le chemin, le meilleur parti qu’il était possible.

J’ose le dire : si, dans une république comme Lacédémone, où les citoyens étaient sans cesse gênés par des lois singulières et subtiles, et dans laquelle il n’y avait qu’une famille, qui était la république, il avait été établi que les maris changeassent de femmes tous les ans, il en serait né un peuple innombrable.

Il est assez difficile de faire bien comprendre la raison qui a porté les chrétiens à abolir le divorce. Le mariage, chez toutes les nations du monde, est un contrat susceptible de toutes les conventions, et on n’en a dû bannir que celles qui auraient pu en affaiblir l’objet ; mais les chrétiens ne le regardent pas dans ce point de vue ; aussi ont-ils bien de la peine à dire ce que c’est. Ils ne le font pas consister dans le plaisir des sens ; au contraire, comme je te l’ai déjà dit, il semble qu’ils veulent l’en bannir autant qu’ils peuvent ; mais c’est une image, une figure, et quelque chose de mystérieux que je ne comprends point.

De Paris, le 19 de la lune de chahban, 1718.