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LETTRES PERSANES.


dans la nature ; on attacha, sans retour et sans espérance, des gens accablés l’un de l’autre, et presque toujours mal assortis, et l’on fit comme ces tyrans qui faisaient lier des hommes vivants à des corps morts.

Rien ne contribuait plus à l’attachement mutuel que la faculté du divorce : [1] un mari et une femme étaient portés à soutenir [2] patiemment les peines domestiques, sachant qu’ils étaient maîtres de les faire finir ; [3] et ils gardaient souvent ce pouvoir en main toute leur vie sans en user, par cette seule considération qu’ils étaient libres de le faire.

Il n’en est pas de même des chrétiens, que leurs peines présentes désespèrent pour l’avenir. Ils ne voient, dans les désagréments du mariage, que leur durée et, pour ainsi dire, leur éternité ; de là viennent les dégoûts, les discordes, les mépris, et c’est autant de perdu pour la postérité. A peine a-t-on trois ans de mariage qu’on en néglige l’essentiel ; on passe ensemble trente ans de froideur ; il se forme des séparations intestines aussi fortes, et peut-être plus pernicieuses que si elles étaient publiques ; chacun vit et reste de son côté, et tout cela au préjudice des races futures. Bientôt un homme, dégoûté d’une femme éternelle, se livrera aux filles de joie, commerce honteux et si contraire à la société, lequel, sans remplir l’objet du mariage, n’en représente tout au plus que les plaisirs.

Si, de deux personnes ainsi liées, il y en a une qui n’est pas propre au dessein de la nature et à la propagation de l’espèce, soit par son tempérament, soit par son âge, elle

  1. Ce n’est pas ce que nous disent les écrivains anciens.
  2. A. Portés à supporter, etc.
  3. Il semblerait, au contraire, que la facilité d’en finir avec les peines domestiques doit singulièrement affaiblir la patience qui les supporte.