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LETTRES PERSANES.

Il n’en était pas de même chez les Romains. La république se servait, avec un avantage infini, de ce peuple d’esclaves. Chacun d’eux avait son pécule, qu’il possédait aux conditions que son maître lui imposait ; avec ce pécule, il travaillait et se tournait du côté où le portait son industrie. Celui-ci faisait la banque ; celui-là se donnait au commerce de la mer ; l’un vendait des marchandises en détail ; l’autre s’appliquait à quelque art mécanique, ou bien affermait et faisait valoir des terres ; mais il n’y en avait aucun qui ne s’attachât de tout son pouvoir à faire profiter ce pécule, qui lui procurait en même temps l’aisance dans la servitude présente, et l’espérance d’une liberté future ; cela faisait un peuple laborieux, animait les arts et l’industrie.

Ces esclaves, devenus riches par leurs soins et leur travail, se faisaient affranchir et devenaient citoyens. La république se réparait sans cesse, et recevait dans son sein de nouvelles familles, à mesure que les anciennes se détruisaient.

J’aurai peut-être, dans mes lettres suivantes, occasion de te prouver que plus il y a d’hommes dans un État, plus le commerce y fleurit ; je prouverai aussi facilement que plus le commerce y fleurit, plus le nombre des hommes y augmente ; ces deux choses s’entr’aident et se favorisent nécessairement.

Si cela est, combien ce nombre prodigieux d’esclaves, toujours laborieux, devait-il s’accroître et s’augmenter ? L’industrie et l’abondance les faisaient naître ; et eux, de leur côté, faisaient naître l’abondance et l’industrie.

De Paris, le 16 de la lune de chahban, 1718.