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LETTRE CVI.


Vous voyez, à Paris, un homme qui a de quoi vivre jusqu’au jour du jugement, qui travaille sans cesse, et court risque d’accourcir ses jours pour amasser, dit-il, de quoi vivre.

Le même esprit gagne la nation ; on n’y voit que travail et qu’industrie. Où est donc ce peuple efféminé dont tu parles tant ?

Je suppose, Rhédi, qu’on ne souffrît dans un royaume que les arts absolument nécessaires [1] à la culture des terres, qui sont pourtant en grand nombre ; et qu’on en bannît tous ceux qui ne servent qu’à la volupté ou à la fantaisie ; je le soutiens, cet état serait un des plus misérables [2] qu’il y eût au monde.

Quand les habitants auraient assez de courage pour se passer de tant de choses qu’ils doivent à leurs besoins, le peuple dépérirait tous les jours ; et l’État deviendrait si faible, qu’il n’y aurait si petite puissance qui ne pût [3] le conquérir.

Il serait aisé [4] d’entrer dans un long détail, et de te faire voir que les revenus des particuliers cesseraient presque absolument, et par conséquent ceux du prince. Il n’y aurait presque plus de relation de facultés entre les citoyens ; on verrait finir cette circulation de richesses, et cette progression de revenus, qui vient de la dépendance où sont les arts les uns des autres ; [5] chaque particulier

  1. A. Que les arts qui sont absolument, etc.
  2. A. C. Serait le plus misérable.
  3. A. C. Qui ne fut en état de le conquérir.
  4. A. C. Je pourrais entrer ici dans un long détail, et te faire voir, etc.
  5. A. C. Cette circulation, etc., et cette propagation de revenus qui vient, etc., cesserait absolument ; chacun ne tirerait de revenu que de sa terre, et n’en tirerait précisément que ce qu’il lui faut pour ne pas mourir de faim ; mais, comme ce n’est pas la centième partie du revenu d’un royaume, il faudrait, etc.