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LETTRE CIV.





LETTRE CIV.


USBEK AU MÊME.



Tous les peuples d’Europe ne sont pas également soumis à leurs princes : par exemple, l’humeur impatiente des Anglais ne laisse guère à leur roi le temps d’appesantir son autorité. La soumission et l’obéissance sont les vertus dont ils se piquent le moins. Ils disent, là-dessus, des choses bien extraordinaires. Selon eux, il n’y a qu’un lien qui puisse attacher les hommes, qui est celui de la gratitude : un mari, une femme, un père et un fils, ne sont liés entre eux que par l’amour qu’ils se portent, ou par les bienfaits qu’ils se procurent : et ces motifs divers de reconnaissance sont l’origine de tous les royaumes et de toutes les sociétés.

Mais, si un prince, bien loin de faire vivre ses sujets heureux, veut les accabler et les détruire, le fondement de l’obéissance cesse ; rien ne les lie, rien ne les attache à lui ; et ils rentrent dans leur liberté naturelle. Ils soutiennent que tout pouvoir sans bornes ne saurait être légitime, parce qu’il n’a jamais pu avoir d’origine légitime. Car, nous ne pouvons pas, disent-ils, donner à un autre plus de pouvoir sur nous que nous n’en avons nous-mêmes : or, nous n’avons pas sur nous-mêmes un pouvoir sans bornes ; par exemple, nous ne pouvons pas nous ôter