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LETTRE C.

Avec ces nobles avantages, que leur importe que le bon sens leur vienne d’ailleurs, et qu’ils aient pris de leurs voisins tout ce qui concerne le gouvernement politique et civil ?

Qui peut penser qu’un royaume, le plus ancien et le plus puissant de l’Europe, soit gouverné, depuis plus de dix siècles, par des lois qui ne sont point faites pour lui ? [1] Si les Français avaient été conquis, ceci ne serait pas difficile à comprendre ; mais ils sont les conquérants.

Ils ont abandonné les lois anciennes faites par leurs premiers rois dans les assemblées générales de la nation ; et, ce qu’il y a de singulier, c’est que les lois romaines, qu’ils ont prises à la place, étaient en partie faites et en partie rédigées par des empereurs contemporains de leurs législateurs.

Et, afin que l’acquisition fût entière, et que tout le bon sens leur vînt d’ailleurs, ils ont adopté toutes les constitutions des papes, et en ont fait une nouvelle partie de leur droit : nouveau genre de servitude.

Il est vrai que, dans les derniers temps, on a rédigé par écrit quelques statuts des villes et des provinces ; mais ils sont presque tous pris du droit romain. [2]

Cette abondance de lois adoptées et, pour ainsi dire, naturalisées, est si grande, qu’elle accable également la justice et les juges. Mais ces volumes de lois ne sont rien en comparaison de cette armée effroyable de glossateurs, de commentateurs, de compilateurs ; gens aussi faibles par le peu de justesse de leur esprit, qu’ils sont forts par leur nombre prodigieux.

  1. Les lois romaines et le droit canon.
  2. Ceci n’est point exact, surtout pour le nord de la France.