Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t1.djvu/34

Cette page n’a pas encore été corrigée
12
ÉLOGE


fondamental des lois ; ce principe est trop obscur, trop susceptible de différentes interprétations, et laisserait trop d’arbitraire au législateur. Et quand même le rapport d’équité aurait été mis dans la plus grande évidence, ce principe, pour déterminer les hommes, aurait-il jamais la force de celui que nous avons posé, de celui du plus grand bonheur ? Celui-ci, quand il ne scrait pas antérieur à tous les autres, ne serait-il pas toujours le plus puissant et le véritable motif de toutes les actions des hommes ? Nous reconnaissons tous une Providence, et dès qu’il en est une, il faut que la révélation, l’équité naturelle et le principe du plus grand bonheur conduisent à la même législation. Une dispute plus longue sur la priorité des motifs serait vaine.

Ce principe du plus grand bonheur est si universel, que non-seulement il devrait égaler le sort de chaque partie d’une même république, mais il devrait encore être la règle de toutes les républiques prises ensemble, ce qu’on appelle le Droit des gens. Le genre humain n’est qu’une grande société, dont l’état de perfection serait que chaque société particulière sacrifiât une partie de son bonheur pour le plus grand bonheur de la société entière. Si aucun homme n’a jamais eu un esprit assez vaste, ni une puissance assez grande pour former cette société universelle dans laquelle se trouverait la plus grande somme de bonheur, le genre humain y tend cependant toujours, et les guerres et les traités ne sont que les moyens dont il se sert pour y parvenir. Vraisemblablement ces moyens seront toujours les seuls ; ce sera ainsi que la nature aura soin du bonheur de la totalité du genre humain. C’est assez pour le législateur, s’il peut pourvoir au bonheur de la petite partie qui lui en est confiée.

D’ailleurs chaque peuple, chaque nation qui a sa forme de gouvernement, ses lois et ses mœurs, est naturellement porté à les préférer à toutes les autres. Il semble donc que pour le plus grand bonheur, même du genre humain, chaque législateur ne doive avoir en vue que d’assurer à son pays l’état le