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LETTRE XCIX.


une révolution les fait descendre tout à coup. Il a été un temps que leur hauteur immense mettait le visage d’une femme au milieu d’elle-même ; dans un autre, c’étaient les pieds qui occupaient cette place, les talons faisaient un piédestal qui les tenait en l’air. Qui pourrait le croire ? Les architectes ont été souvent obligés de hausser, de baisser et d’élargir leurs portes, selon que les parures des femmes exigeaient d’eux ce changement ; et les règles de leur art ont été asservies à ces caprices. [1] On voit quelquefois sur un visage une quantité prodigieuse de mouches, et elles disparaissent toutes le lendemain. Autrefois les femmes avaient de la taille et des dents ; aujourd’hui il n’en est pas question. Dans cette changeante nation, quoi qu’en disent les mauvais plaisants, [2] les filles se trouvent autrement faites que leurs mères.

Il en est des manières et de la façon de vivre comme des modes : les Français changent de mœurs, selon l’âge de leur roi. Le monarque pourrait même parvenir à rendre la nation grave, s’il l’avait entrepris. Le prince imprime le caractère de son esprit à la cour, la cour à la ville, la ville aux provinces. L’âme du souverain est un moule qui donne la forme à toutes les autres.

De Paris, le 8 de la lune de saphar, 1717.

  1. A. C. A ces fantaisies.
  2. A. C. Quoi qu’en dise le critique.