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LETTRES PERSANES.


frère : je me plais à prévoir l’étonnement de toutes ses femmes ; la douleur impérieuse des unes ; l’affliction muette, mais plus douloureuse, des autres ; la consolation maligne de celles qui n’espèrent plus rien, et l’ambition irritée de celles qui espèrent encore.

Je vais, d’un bout du royaume à l’autre, faire changer tout un sérail de face. Que de passions je vais émouvoir ! que de craintes et de peines je prépare !

Cependant, dans le trouble du dedans, le dehors ne sera pas moins tranquille : les grandes révolutions seront cachées dans le fond du cœur ; les chagrins seront dévorés et les joies contenues : l’obéissance ne sera pas moins exacte, et la règle moins inflexible : la douceur, toujours contrainte de paraître, sortira du fond même du désespoir.

Nous remarquons que plus nous avons de femmes sous nos yeux, moins elles nous donnent d’embarras. Une plus grande nécessité de plaire, moins de facilité de s’unir, plus d’exemples de soumission, tout cela leur forme des chaînes. Les unes sont sans cesse attentives sur les démarches des autres : il semble que, de concert avec nous, elles travaillent à se rendre plus dépendantes : elles font une partie de notre ouvrage, [1] et nous ouvrent les yeux quand nous les fermons. Que dis-je ? elles irritent sans cesse le maître contre leurs rivales ; et elles ne voient pas combien elles se trouvent près de celles qu’on punit.

Mais tout cela, magnifique seigneur, tout cela n’est rien sans la présence du maître. Que pouvons-nous faire, avec ce vain fantôme d’une autorité qui ne se communique jamais tout entière ? Nous ne représentons que faiblement

  1. A. C. Elles font presque la moitié de notre office.