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DE M. DE MONTESQUIEU.


nant à cette science le premier ouvrage de M. de Montesquieu, quoique bien des gens ne l’aient pris d’abord, et ne le prennent peut-être encore aujourd’hui, que pour un ouvrage d’agrément. Il est sans doute rempli d’agrément, mais ce n’est pas là ce qui en fait le prix, ni ce que l’auteur s’y est proposé : ç’a été de peindre l’homme dans deux points de vue des plus opposés. Un Persan à Paris, frappé de nos vices et de nos ridicules, les expose à ses amis en Perse, les compare à ce qu’il croit de plus raisonnable dans les mœurs de son pays, et le lecteur n’y trouve que des vues et des ridicules différents.

Quoique cet ouvrage porte sur les mœurs en général, l’auteur semble s’être étendu sur l’amour au delà de ce qu’exigeoit le plan de son livre. Le Persan ne développe-t-il point avec trop de finesse les sentiments de l’amour d’Europe ? Ne peint-il point avec des traits trop enflammés l’amour d’Asie dans ses plaisirs, dans ses fureurs et jusque dans son anéantissement ? Les gens sensibles se plairont dans ces peintures, peut-être trop vives ; le lecteur sévère les pardonnera dans un premier ouvrage ; le philosophe trouvera peut-être que la passion la plus violente de toutes, celle qui dirige presque toutes les actions des hommes, n’occupe point trop de place dans un livre dont l’homme est l’objet.

Malgré la préférence que M. de Montesquieu donnoit à cette science des mœurs sur les autres sciences, on trouve dans son livre des réflexions philosophiques qui font juger de quoi l’auteur eût été capable, s’il eût voulu se borner à ce genre. Avec quelle clarté, avec quelle précision il explique dans une lettre les grands principes de la physique moderne ! Avec quelle profondeur expose-t-il dans une autre les spéculations de la métaphysique ![1] Il n’appartient qu’aux plus grands génies de saisir toujours juste les principes de toutes choses : un esprit qui ne voit pas, pour ainsi dire tout, tout à la fois, n’y sauroit jamais

  1. Lettres 97 et 69.