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LETTRES PERSANES.


une autre ; non pas contre les hérétiques, mais contre les hérésiarques qui attribuent à de petites pratiques monacales la même efficacité qu’aux sept sacrements ; qui adorent tout ce qu’ils vénèrent ; et qui sont si dévots qu’ils sont à peine chrétiens.

Vous pourrez trouver de l’esprit et du bon sens chez les Espagnols ; mais n’en cherchez point dans leurs livres. Voyez une de leurs bibliothèques, les romans d’un côté, et les scolastiques de l’autre : vous diriez que les parties en ont été faites, et le tout rassemblé par quelque ennemi secret de la raison humaine.

Le seul de leurs livres qui soit bon est celui qui a fait voir le ridicule de tous les autres. [1]

Ils ont fait des découvertes immenses dans le nouveau monde, et ils ne connaissent pas encore leur propre continent : il y a, sur leurs rivières, tel pont qui n’a pas encore été découvert, et, dans leurs montagnes, des nations qui leur sont inconnues. [2]

Ils disent que le soleil se lève et se couche dans leur pays : mais il faut dire aussi qu’en faisant sa course, il ne rencontre que des campagnes ruinées et des contrées désertes.

Je ne serais pas fâché, Usbek, de voir une lettre

  1. Don Quichotte, où Cervantès s’est moqué des livres de chevalerie. Mais c’est une grande erreur de croire que les Espagnols n’ont point d’autre littérature que les Amadis. Encore ne faudrait-il pas oublier leur théâtre, qui a servi de modèle à Corneille.

    L’opinion de Montesquieu était générale au XVIIIe siècle. — « Qu’est-ce que ces romans de chevalerie nous apprennent ? Le seul Don Quichotte, ce livre merveilleux, que Saint-Évremond préférait à tous les livres du monde, ne les a-t-il pas tous détruits ? » Marais, t. III, p. 339.

  2. Les Batuecas. (M.) C’est une invention de quelque bel esprit que Montesquieu n’aurait pas dû prendre au sérieux.