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LETTRE LXIX.


manière que Dieu ne peut voir cette détermination par avance, ni dans l’action de l’âme, ni dans l’action que les objets font sur elle.

Comment Dieu pourrait-il prévoir les choses qui dépendent de la détermination des causes libres ? Il ne pourrait les voir que de deux manières : par conjecture, ce qui est contradictoire avec la prescience infinie : ou bien il les verrait comme des effets nécessaires qui suivraient infailliblement d’une cause qui les produirait de même, ce qui est encore plus contradictoire : car l’âme serait libre par la supposition ; et, dans le fait, elle ne le serait pas plus qu’une boule de billard n’est libre de se remuer lorsqu’elle est poussée par une autre.

Ne crois pas pourtant que je veuille borner la science de Dieu. Comme il fait agir les créatures à sa fantaisie, il connaît tout ce qu’il veut connaître. Mais, quoiqu’il puisse voir tout, il ne se sert pas toujours de cette faculté : il laisse ordinairement à la créature la faculté d’agir ou de ne pas agir, pour lui laisser celle de mériter ou de démériter : c’est pour lors qu’il renonce au droit qu’il a d’agir sur elle, et de la déterminer. Mais, quand il veut savoir quelque chose, il le sait toujours, parce qu’il n’a qu’à vouloir qu’elle arrive comme il la voit, et déterminer les créatures conformément à sa volonté. C’est ainsi qu’il tire ce qui doit arriver, du nombre des choses purement possibles, en fixant, par ses décrets, les déterminations futures des esprits, et les privant de la puissance qu’il leur a donnée d’agir ou de ne pas agir.

Si l’on peut se servir d’une comparaison, dans une chose qui est au-dessus des comparaisons : un monarque ignore ce que son ambassadeur fera dans une affaire importante : s’il le veut savoir, il n’a qu’à lui ordonner de se