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LETTRES PERSANES.


la plus belle de toutes les déesses. Si un homme en avait conclu qu’elle était blonde et brune, qu’elle avait les yeux noirs et bleus, qu’elle était douce et fière, il aurait passé pour ridicule.

Souvent Dieu manque d’une perfection qui pourrait lui donner une grande imperfection : mais il n’est jamais limité que par lui-même : il est lui-même sa nécessité. Ainsi, quoique Dieu soit tout-puissant, il ne peut pas violer ses promesses, ni tromper les hommes. Souvent même l’impuissance n’est pas dans lui, mais dans les choses relatives ; et c’est la raison pourquoi il ne peut pas changer l’essence des choses. [1]

Ainsi, il n’y a point sujet de s’étonner que quelques-uns de nos docteurs aient osé nier la prescience infinie de Dieu, sur ce fondement, qu’elle est incompatible avec sa justice.

Quelque hardie que soit cette idée, la métaphysique s’y prête merveilleusement. Selon ses principes, il n’est pas possible que Dieu prévoie les choses qui dépendent de la détermination des causes libres ; parce que ce qui n’est point arrivé n’est point, et, par conséquent, ne peut être connu ; car le rien, qui n’a point de propriétés, ne peut être aperçu : Dieu ne peut point lire dans une volonté qui n’est point, et voir dans l’âme une chose qui n’existe point en elle : car, jusqu’à ce qu’elle se soit déterminée, cette action qui la détermine n’est point en elle.

L’âme est l’ouvrière de sa détermination : mais il y a des occasions où elle est tellement indéterminée, qu’elle ne sait pas même de quel côté se déterminer. Souvent même elle ne le fait que pour faire usage de sa liberté ; de

  1. A. C. Changer les essences.