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LETTRE LIX.





LETTRE LIX.

RICA A USBEK.


A ***.




J’étais l’autre jour dans une maison où il y avait un cercle de gens de toute espèce. Je trouvai la conversation occupée par deux vieilles femmes, qui avaient en vain travaillé tout le matin à se rajeunir. Il faut avouer, disait une d’entre elles, que les hommes d’aujourd’hui sont bien différents de ceux que nous voyions dans notre jeunesse : ils étaient polis, gracieux, complaisants ; mais, à présent, je les trouve d’une brutalité insupportable. Tout est changé, dit pour lors un homme qui paraissait accablé de goutte ; le temps n’est plus comme il était, il y a quarante ans ; tout le monde se portait bien, on marchait, on était gai, on ne demandait qu’à rire et à danser : à présent, tout le monde est d’une tristesse insupportable. Un moment après, la conversation tourna du côté de la politique. Morbleu ! dit un vieux seigneur, l’État n’est plus gouverné : trouvez-moi à présent un ministre comme monsieur Colbert ; je le connaissais beaucoup, ce monsieur Colbert ; il était de mes amis ; il me faisait toujours payer de mes pensions avant qui que ce fût : le bel ordre qu’il y avait dans les finances ! tout le monde était à son aise ; mais, aujourd’hui, je suis